Jean-Philippe Lachaux et le système attentionnel : ce que tout Enseignant devrait savoir

Dans une époque marquée par la dispersion cognitive et l’infobésité, l’attention est devenue un enjeu majeur de l’apprentissage. Pour les enseignants, comprendre les mécanismes cérébraux qui régissent l’attention peut transformer leur manière d’enseigner. C’est dans ce contexte que les recherches du neuroscientifique Jean-Philippe Lachaux, spécialiste de la dynamique attentionnelle, apportent un éclairage fondamental.

Qui est Jean-Philippe Lachaux et pourquoi ses travaux sont essentiels ?

Jean-Philippe Lachaux est directeur de recherche en neurosciences cognitives à l’INSERM. Il étudie depuis des années les processus attentionnels dans le cerveau humain. À travers ses publications comme Le cerveau attentif ou Les petites bulles de l’attention, il a vulgarisé avec rigueur la façon dont notre attention se construit, se mobilise et se fragilise.

Son approche repose sur une idée simple mais puissante : l’attention est un mouvement de l’esprit, une focalisation sélective de nos ressources mentales. Contrairement à une croyance répandue, l’attention n’est pas automatique, mais demande de l’entraînement, de la conscience, et parfois même un effort.

Lachaux ne s’adresse pas uniquement aux chercheurs. Ses travaux sont conçus pour les enseignants, éducateurs et formateurs. Il cherche à transmettre les outils concrets pour aider les élèves à devenir acteurs de leur attention, à la réguler, à la comprendre, et à l’utiliser comme un levier d’apprentissage.

Dans ses recherches, Lachaux distingue deux formes d’attention :

  • L’attention captée, déclenchée par un stimulus externe (bruit, image, mouvement)
  • L’attention volontaire, dirigée intentionnellement vers une tâche précise

À l’école, les élèves sont constamment sollicités par des distractions. Aider un élève à développer une attention maîtrisée, c’est lui donner un super-pouvoir cognitif.

Comprendre l’attention : un outil pédagogique puissant

Loin d’être un concept abstrait, l’attention a des manifestations concrètes dans les comportements des élèves : agitation, rêverie, lenteur, erreurs fréquentes… Tous ces signaux sont souvent les symptômes d’un système attentionnel surchargé ou mal entraîné.

Lachaux compare l’attention à une lampe torche mentale. Ce projecteur éclaire ce qui est important à un moment donné, laissant le reste dans l’ombre. L’élève ne peut se concentrer que sur un élément à la fois. Vouloir qu’il écoute, prenne des notes, observe le tableau et réfléchisse en même temps est une surcharge cognitive contre-productive.

Jean-Philippe Lachaux propose plusieurs pistes applicables en classe :

  • Ancrer l’attention par l’intention : annoncer clairement l’objectif de chaque activité ou séquence.
  • Découper les tâches complexes : segmenter les consignes favorise une meilleure focalisation.
  • Instaurer des rituels attentionnels : respirations guidées, silence actif, recentrage mental.
  • Utiliser des supports visuels ciblés : éviter les stimulations parasites ou les surcharges graphiques.

Ces méthodes permettent d’entraîner l’attention comme un muscle, en valorisant les moments de concentration et en encourageant les pauses mentales.

Lachaux insiste sur l’importance de rendre les élèves conscients de leur propre attention. Il propose une technique appelée la « bulle attentionnelle », dans laquelle l’élève apprend à observer où est son esprit, et à revenir dans la tâche s’il s’est égaré.

Ce processus développe la métacognition, c’est-à-dire la capacité à réfléchir sur son propre fonctionnement cognitif — un élément clé de l’apprentissage durable.

Les défis actuels pour maintenir l’attention des élèves

L’environnement scolaire est loin d’être un lieu neutre en matière d’attention. Il est souvent bruyant, stimulant, imprévisible. De plus, les élèves arrivent avec des profils variés : certains sont hyperconnectés, d’autres en souffrance psychologique, ou encore porteurs de troubles comme le TDAH.

Le numérique peut capter l’attention, mais il peut aussi la disperser. Lachaux invite les enseignants à distinguer la captation de l’engagement. Une vidéo peut fasciner, mais n’engage pas nécessairement dans une activité d’apprentissage actif. Il recommande de privilégier les outils qui sollicitent la concentration, la réflexion, et l’action (quiz interactifs, cartes mentales, outils d’autorégulation).

Les recherches récentes montrent que les émotions influencent directement la capacité à se concentrer. Le stress, la peur de l’erreur, l’ennui ou la fatigue perturbent le fonctionnement attentionnel. Créer un climat bienveillant, poser un cadre clair, valoriser les efforts plutôt que la performance sont des leviers essentiels pour faciliter la concentration.

Les élèves atteints de TDA/H ou d’autres troubles neurodéveloppementaux rencontrent des difficultés spécifiques pour maintenir leur attention. Lachaux propose des adaptations telles que :

  • Alléger les consignes
  • Augmenter la fréquence des pauses
  • Favoriser les supports auditifs ou kinesthésiques
  • Intégrer des moments de réactivation attentionnelle

L’attention est la porte d’entrée de toute connaissance. Sans attention, pas de perception, pas de mémorisation, pas de raisonnement. C’est pourquoi développer les compétences attentionnelles est une priorité éducative.

Lien avec la mémoire de travail

La mémoire de travail, selon Baddeley, est limitée. L’attention permet de sélectionner les informations utiles à court terme pour qu’elles puissent ensuite passer dans la mémoire à long terme. Trop de sollicitations simultanées brouillent ce filtre naturel.

Des programmes comme ATOLE (Apprendre à mieux utiliser son attention à l’École), co-construits par Lachaux et des enseignants, proposent une éducation à l’attention dès le primaire. Ces modules ludiques et progressifs permettent aux élèves de :

  • Comprendre ce qu’est l’attention
  • Identifier leurs distractions
  • Développer des stratégies de recentrage

Ces dispositifs ont montré des effets positifs sur l’engagement scolaire, le climat de classe et les performances des élèves.

L’enseignant devient un chef d’orchestre attentionnel, structurant les temps d’exposition, les moments d’intensité, les phases de récupération. Il peut moduler l’environnement pour éviter les distractions inutiles, mais aussi stimuler par des consignes claires et un déroulé logique.

Pour aller plus loin : références clés et lectures recommandées

Si vous souhaitez approfondir cette thématique, voici quelques ressources incontournables :

  • Le cerveau attentif – Jean-Philippe Lachaux
  • Les petites bulles de l’attention – Jean-Philippe Lachaux
  • Programme ATOLE (disponible en ligne via le site de l’INSERM)
  • Apprendre à mieux apprendre – Jean-Luc Berthier
  • Études sur la répétition espacée (Carpenter et al., 2012)
  • Neuroéducation : comment le cerveau apprend – Dehaene, Berthier, Borst

Ces lectures permettent de relier la théorie scientifique aux enjeux de terrain, et d’intégrer la neuroéducation dans une pratique pédagogique quotidienne.

L’attention n’est pas un luxe mais une nécessité éducative. Grâce aux travaux de Jean-Philippe Lachaux, les enseignants disposent aujourd’hui de clés concrètes pour comprendre, observer, et renforcer cette fonction cognitive fondamentale. Dans un monde où la distraction est omniprésente, enseigner l’attention, c’est offrir aux élèves un ancrage solide dans leurs apprentissages et leur donner les moyens de se réaliser pleinement.

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